Les mailles

       Nous avons voyagé par des routes séparées, longues et pleines de virages. Les mailles de nos vêtements étaient usées, et les couleurs ternies…mais là, sur ce tissu rêche et maintenant si léger, on voit toujours les endroits où les mailles  s’entrecroisent, et les couleurs dans leur perte portent toujours l’éclat du soleil qui les a détruits.

Sur le tissu ça se voit. Sur la peau aussi. Dans les cheveux et dans les yeux…telle est la beauté du matériel. Elle se laisse voir facilement, se devine. Mais qu’en est-il de la respiration? Des  mots et des ressentis? Du regard fixé ou bien instable? Des baisers cachés? Des mouvements de la poitrine, perceptible seulement aux proches? Là, les mailles et les couleurs, la qualité du tissu se perdent, pour n’être perçue que de temps en temps, dans l’intimité.

Parfois on arrive à les dissoudre dans le son…pour que l’air chargé de nos expériences devienne la musique. Le mouvement, la direction, la force et le silence, la respiration et l’articulation, le haut, le bas, la profondeur, le tremblement, une ligne droite et une ligne ondulée, la fusion et le relâchement, l’harmonie et le conflit…la tension…le drame…le climax…l’apaisement…les mailles entremêlés…clairement, nous avons voyagé…tous. Et bien que des fois nous ne voyons pas toujours d’où viennent les fils, que nous ne savons pas pourquoi ils sont là, sont-ils originaux, ou bien des pièces rajoutées…car dans ce tissu aérien les limites se fondent…nos cœurs bondissent avec assurance à chaque évocation sonore de ce voyage.